N.D.L.R.: Le 25 mai 1720, le "Grand Saint Antoine", capitaine Jean-Baptiste CHATEAU, de Marseille, rentre après dix mois et trois jours d'absence. Il a fait escale à Smyrne, à Chypre, à Tripoli, à Chypre de nouveau, puis à Livourne et il arrive en rade de Marseille. Le "Grand Saint Antoine" a eu cinq morts suspectes en route, mais il a des patentes de santé en bonne et due forme, signées par le médecin de santé de Livourne, un expert en matière de peste.
Marseille a oublié la peste: les dernières épidémies ont été celles de 1630 et de 1649, il y a plus de 70 ans.Depuis, le port s'est doté de la meilleure organisation sanitaire de la Méditerrannée. Colbert y a construit les "Infirmeries" qui reçoivent marchandises et équipages pour une quarantaine dont l'efficacité n'est plus à prouver. En trois quarts de siècle de fonctionnement, pas la moindre fuite ne s'est produite, pas le moindre incident sanitaire. Marseille ne croit plus à la peste.
Pourtant, le 20 juin, rue Belle-Table, une rue que les habitants des beaux quartiers ignorent, Marie Dauplan, une miséreuse, meurt en quelques heures. Elle a un "charbon" sur la lèvre. Elle a reçu, à titre d'aumône, des vêtements ayant appartenu à l'équipage du "Grand Saint Antoine". Le 28 juin, Michel Cresp, tailleur, meurt subitement sans le moindre signe.Le 30 juin, sa femme le suit. Trois morts suspectes dans le même quartier: le corps sanitaire ne réagit pas tant la réputation des "Infirmeries" est solide. Le 1° juillet, deux nouvelles victimes, deux femmes, avec un "charbon" sur le nez. Dans la semaine qui suit, la mort frappe encore, plusieurs fois par jour. Puis, le 9 juillet, un adolescent meurt dans un beau quartier cette fois. De vrais médecins, les Puyssonnel père et fils, sont là.